PÉRIGNAC : LES AMIS DE PAICHEL

Le missionnaire sait qu’il va terminer tranquillement sa dernière mission dans un asile psychiatrique puisque personne ne voudrait croire qu’il puisse être un extra-terrestre. Depuis sa dernière aventure, il vieillit rapidement sauf que cela est uniquement le signe qu’il va bientôt quitter la Terre comme tout le monde. Paichel rencontre des pensionnaires vraiment attachants dans cette institution. Voici : Les amis de Paichel.

Un vieil homme était assis dans un coin d’un petit salon modeste et écoutait religieusement les leçons privées de son ami Rat-Mage. Ce petit rat blanc, venu de l’au-delà pour lui enseigner à lire et à écrire, tenait ainsi sa promesse. Croyez-le ou non, ce farfelu Fontaimé Denlar Paichel, avait la barbiche toute blanche et portait même des lunettes pour lire les lettres de l’alphabet. Cet homme qui passa à travers le temps sans dépasser ses éternels cinquante ans, vivait à présent comme un bon vieillard ayant ses quatre-vingt-trois ans bien sonnés ! Certains pensionnaires du foyer où il résidait depuis quelques années, disaient qu’il était un peu fou, un peu mystique, un peu sourd et même très bizarre. Il passait ses journées à parler au rat blanc et surtout à des êtres invisibles qui semblaient l’entourer continuellement. Le personnel de l’institution tenta de lui faire comprendre qu’il fabulait mais, le vieil homme riait en répondant : “Bien sûr, tout ce que vous ne pouvez voir vous dérange et tout ce que vous ne voyez pas ne sert qu’à vous mêler davantage. Je suis un petit fou heureux et si c’est cela qui vous ennuie, je ne vais pas me conformer à vos faces de carême pour avoir l’air normal.”

On ne pouvait en vouloir aux membres du personnel de rire de ce vieux clochard gentil. Ils ignoraient presque tout de sa vie et de ses aventures dans le temps. Comme Paichel prétendait être né au moyen âge, tout ce qu’il pouvait ajouter de plus, ne faisait qu’aggraver son cas auprès du conseil médical de l’établissement. En effet, le pauvre héros était interné dans un asile psychiatrique pour malades irrécupérables. On le laissait circuler presque partout puisqu’il n’était pas considéré comme “dangereux”. Il était l’ami d’un autre patient qui se prenait pour le Père Noël. On pourrait également citer les noms de deux autres pensionnaires qui se disaient la réincarnation de JULES VERNE et de NOSTRADAMUS. Il faut dire que Nostradamus était une vieille dame charmante qui se souvenait de tout ce qu’elle avait écrit lorsqu’elle vivait dans le corps de Michel de Notre-Dame, mais ne pouvait se rappeler son nom actuel. Les membres du personnel l’appelaient Mlle Millefeuille, à son grand désespoir. Chaque fois qu’on osait l’étiqueter de ce nom commun, la bonne dame refusait de répondre à l’appel. Pour sauver du temps, plusieurs infirmières la surnommèrent Mlle Nostra. Quant à Jules Verne, il était difficile de lui donner un autre nom puisqu’il s’appelait véritablement ainsi. On le disait parent lointain du vrai Jules Verne, mort en 1905, dans sa maison à d’Amiens, en France. Cet auteur écrivit au-delà de quatre-vingts romans, dont les plus célèbres furent “Vingt mille lieues sous les mers”, “L’île mystérieuse”, “Le tour du monde en 80 jours”, “Les 500 millions de la Bégum”, “Cinq semaines en ballon”, “Le Sphinx des glaces”, “Deux ans de vacances”, “De la terre à la lune” et “Les enfants du capitaine Grant”.

Paichel se sentait bien entouré par le père Noël, Nostradamus, Jules Verne et surtout, par tous ses amis de l’invisible qui venaient lui tenir compagnie.

Comme à chaque matin, Paichel se promenait dans les vastes jardins de l’institution en compagnie du père Noël, de Mlle Nostra et de Jules Verne. Ils parlaient de tout et de rien, pendant que des infirmiers les surveillaient discrètement de loin. Le clochard dit ainsi en cueillant une fleur fanée :

- Mes bons amis, le départ est pour bientôt. Tout comme cette fleur, mon pauvre corps retournera finalement à la terre. Je suis très fatigué et même pressé de partir dans l’autre monde. J’ai tout près de sept cents ans d’existence ; c’est beaucoup trop long pour une seule vie. Toutefois, je ne regrette rien du tout. J’ai vécu des centaines d’aventures dans le temps et voyagé dans le corridor qui fait si étrange à ceux qui ont peur de mourir.

- C’est là que nous te suivrons au moment où tes maîtres viendront tous nous chercher en même temps, lui rappelle alors le père Noël. Tu te souviens de ta promesse n’est-ce pas ?

- Je m’en souviens parfaitement mon cher monsieur Christmas, lui répondit Paichel en riant. J’ai demandé à mes maîtres de l’invisible de venir nous chercher tous les quatre. Nous irons tout d’abord faire un petit tour dans le couloir de l’intemporel et probablement sur mon îlot. Vous vous rappelez ce que j’ai dit au sujet de ces petites oasis qui sont dispersées dans l’océan de l’infini ?

- Tu as dis que chaque âme possède son petit paradis, son trait de crayon sur la grande toile du Créateur.

- C’est bien ça Jules. Si je peux vous donner une belle comparaison de cette réalité éternelle, je prendrai simplement l’exemple d’une photographie. Elle est composée de millions de petits points et pourtant, personne ne les remarquent en examinant la photo. Donc, mon îlot serait le tout petit point situé près du coeur de ce grand corps universel de la vie. Les vôtres se trouvent probablement au niveau de la tête du Créateur. C’est une image, bien sûr, mais qui indique que vos âmes inspirées par l’Esprit de la muse, vous ont dicté des belles choses à écrire. Toi, Jules, c’est toute une génération que tu as initiée à tes “voyages extraordinaires”. Tu racontais des choses tellement vraies, que les jeunes lecteurs et lectrices pouvaient voyager dans l’imaginaire comme dans un monde tout à fait réel. Et toi, Nostradamus, n’as-tu pas écrit des prédictions en voyageant simplement dans l’intemporel ?

- En esprit seulement, répondit Mlle Nostra en souriant. Je n’ai pas eu la chance d’y voyager avec mon corps comme toi.

- Et moi, Paichel, où est mon îlot ? Lui demanda le père Noël.

- Au Pôle Nord, voyons !

- Il y a un Pôle Nord dans l’intemporel ?

- Un Pôle Nord, mon bon Christmas, est simplement le lieu où tu te trouveras dans l’intemporel. L’enfer c’est là où se trouve le diable, le ciel est pour les saints et le Pôle Nord est pour le père Noël.

- Les enfants viendront me voir sur mon îlot rempli de jouets ?

- Pourquoi pas ? Dis-moi pourquoi il serait interdit au bon père Noël d’exister dans un monde spirituel? N’est-ce pas de là que tu viens, d’ailleurs? Je connais un petit ange du nom d’Angélo qui serait le premier à venir s’asseoir sur tes genoux pour te demander des boules de ouates pour jouer à la guerre avec son ennemi, Tison!

- C’est vrai, on m’a sorti de l’imaginaire et je retournerai dans l’imaginaire. De toute manière, les enfants de la terre ne croient plus en moi depuis qu’il n’y a plus de foyers pour m’accueillir.

Le bon vieux monsieur ne parlait pas des cheminées mais des foyers unis. Les gens n’avaient plus le temps d’entretenir le mythe du père Noël et le dernier des bonheurs se retrouva finalement dans un asile psychiatrique pour avoir osé se donner le titre de vrai père Noël. Le personnel de l’institution l’aimait bien, mais le pauvre homme n’avait plus le droit de monter sur les cheminées, ni de s’introduire dans les maisons comme avant. Sa dernière tentative lui valut quelques mois de prison pour une entrée par infraction. Pire encore, le père Noël perdit deux dents lorsqu’il s’introduisit dans la chambre d’un enfant pour déposer un ourson de peluche dans ses petits bras. Le père de celui-ci frappa le vieil homme et le fit accuser d’avoir abusé... de la situation. Le bon père Noël ne s’en remit jamais. On le frappait, lui, l’un des rares moulins à bonheur. Le sort de Jules Verne ne fut pas meilleur. Selon lui, la science devait permettre à l’humanité de vivre mieux. On irait sur les planètes, on vaincrait toutes les maladies et surtout toutes les misères en ce monde. Un jour, quelqu’un lui tira trois balles dans le ventre ou dans les jambes, on ne sait plus, par simple plaisir de détruire ses illusions. Ce n’est pas ce drame qui rendit l’homme si triste par la suite, mais le rêve de sa vie que l’on venait de tuer. Jules Verne plaçait la jeunesse sur un piédestal et croyait fermement que ses romans mettaient le vent dans les voiles des jeunes générations. Elles allaient voyager, inventer, faire éclater la justice, refaire le monde et échapper aux griffes des traditions. Pourtant, c’est un adolescent qui tira sur lui comme pour lui rappeler que la jeunesse ne voulait plus de lui. Certains diront que Jules Verne était assez intelligent pour faire la différence entre un jeune malade qui voulait le tuer et la jeunesse en générale. On ne comprend pas que cet homme fut toute sa vie, animé par ce rêve d’un monde heureux et qu’on tenta tout de même de l’assassiner. Il vit dans ce garçon, la gifle qui le ramena brutalement à la réalité. Il écrivit plus tard un bien triste roman, “Le dernier Adam”. Il y avait cette conclusion suivante : Que l’évolution humaine et technologique est si fragile, qu’elle peut disparaître dans une seule génération d’enfants qui sauront dire simplement : “Mium, mium, j’ai faim.”

Un infirmier s’approcha pour dire aux vieillards :

- Il est temps d’aller vous mettre au lit pour la sieste.

- Pardon? Que dites-vous jeune homme?, demanda Paichel en laissant croire qu’il était sourd d’oreilles.

- La sieste, lui dit l’infirmier en criant plus fort.

- L’assiette ? Mais de quelle assiette parlez-vous, répondit le clochard amusé.

- La sieste ! C’est l’heure de venir vous reposer.

- Oh ! Le repas est posé où encore ?

L’infirmier le prit par le bras et le conduisit à l’intérieur de l’institution sans continuer ce petit jeu favori de Paichel. Il faisait rire ses amis, mais le jeune homme était habitué à affronter les jeux de mots de ce pensionnaire. Il le conduisit à sa chambre en lui disant ironiquement : “Vous entendez seulement ce qui fait votre affaire. Vous ne pourrez jamais me faire marcher dans votre jeu.” Paichel fit la sourde oreille et s’étendit sur sa couchette. Dès que l’infirmier quitta sa chambre, il maugréa ainsi : “Sacré nom d’un chien, ce jeune homme se croit vraiment en droit de me traiter comme un enfant. Pour qui se prend-t-il au juste ? Bientôt, c’est l’infirmière chef qui viendra me border en me tapant les mains comme une “maniaco-tam-tam !” Un peu plus, elle me bercerait pour m’endormir. “Faites un beau dodo n’est-ce pas?”

Au même instant arriva une grosse dame aux allures d’un chef militaire. Elle brassa le vieillard d’un air pressé afin de battre son record de vitesse pour le mettre au lit. Puis, regardant sa montre, un petit sourire apparut sur son visage jusqu’alors sans expression. Elle tapa les mains de son patient en lui demandant de faire un beau dodo jusqu’à deux heures. Lorsqu’elle quitta la pièce pour s’attaquer à d’autres travaux humanitaires, le vieil homme sourit en voyant un petit rat blanc sur le bord de sa fenêtre. L’animal fantôme lui fit signe de s’asseoir dans son lit et lui demanda ensuite de sortir une feuille de papier et un crayon. Paichel glissa sa main sous son oreiller et sortit une tablette à écrire et un stylo énorme. Il l’avait gagné au bingo.

- Tu es prêt pour ta deuxième leçon ?

- Oui Rat-Mage, lui répondit l’homme excité. La première leçon portait sur la lettre A, comme : Animal, aliéné et allo !

- C’est bien ça ! Tu te souviens de la forme de la lettre A ?

- Oui, elle ressemble à une maison, une pyramide, un chevalet, au symbole du feu, à deux glissoires et à la pointe d’une flèche.

- Parfait ! Voyons donc la deuxième lettre. On lui donne le nom de B. Il y a le B majuscule et le b minuscule.

- Je trouve que cette lettre est aussi grosse que l’autre, lui dit Paichel d’un air embêté.

- Non, regarde la forme du B majuscule est différente de l’autre.

- C’est vrai, le petit b ressemble plutôt à une femme enceinte.

- Tu crois ?

- Oui, si je fais deux petits “b” comme ça bb, cela me donne un bébé !

- Tu n’es pas sérieux ! Comment veux-tu que je t’enseigne à lire et à écrire si tu passes ton temps à jouer comme un jeune enfant ?

- Mais je me sens comme un jeune enfant, voyons! Si je veux apprendre, je dois adopter les attitudes d’un jeune enfant qui commence l’école. Il joue en classe avec des élastiques, dessine des bonshommes sur son pupitre, mâche des gommes à effacer et lance des avions de papier derrière la tête de ses camarades. C’est cela un vrai étudiant.

- Tu es vraiment drôle. On ne voit ça que dans les films pour enfants, voyons!

- Ainsi, tu ne crois pas que c’est l’image parfaite du jeune étudiant?

- Les enfants doivent apprendre à lire et non à jouer, lui dit le rat.

- Tu parles ainsi parce que tu ne sais pas faire des avions de papier.

Paichel fabriqua un avion et le fit voler dans la chambre.

- Oh ! C’est amusant, s’exclama Rat-Mage en tapant des pattes. Fais-moi un autre avion.

- D’accord.

Comme il ne pouvait le lancer lui-même, le petit rat blanc demanda à son ami de le faire. L’avion plana un moment dans la pièce avant de sortir par la fenêtre. Il termina sa course dans les cheveux de l’infirmière chef. Elle discutait sur une terrasse avec une jeune infirmière du nom de Rita.

- Ce Paichel ne dort pas encore, garde Rita. Je vous prie d’aller voir ce qu’il fait.

- Oui, tout de suite, s’empressa de répondre la jolie infirmière.

Paichel décrocha un gros poster qu’il n’aimait pas et en fit un avion superbe. Il invita Rat-Mage à monter docilement sur l’appareil de papier en disant joyeusement: “Tu vas voir que c’est très amusant de voler.” Il avait raison puisque le rat riait en planant lentement dans la pièce, jusqu’au moment où la porte s’ouvrit. Un courant d’air dirigea l’avion par la fenêtre pendant que Paichel fit semblant de dormir.

- Monsieur Paichel, vous n’êtes pas sérieux. Vous devriez dormir au lieu de faire des avions de papier !

- Mais je dors, mademoiselle, je dors profondément.

L’infirmière sourit en examinant notre homme ronfler. Elle s’approcha du lit en tenant un petit avion qui gisait sur le plancher et s’en servit pour chatouiller le gros nez du dormeur.

- D’accord, je faisais des avions, lui dit le vieil homme en ouvrant un seul oeil.

- Vous allez dormir un peu et j’irai vous tenir compagnie pour une petite promenade avant le repas du soir.

- Avec vous, j’irais au bout du monde, lui répondit le clochard en souriant.

Garde Rita était très gentille avec les pensionnaires et surtout très respectueuse. Elle considérait leur dignité humaine et physique, contrairement à certains membres du personnel qui ne jugeaient pas utile de remonter le drap d’un patient qui pouvait se découvrir pendant son sommeil ou, pire encore, qui donnaient des bains sans se soucier de ce que pouvait éprouver un pensionnaire du peu de respect qu’on lui portait. On était toujours trop pressé pour le laisser se laver lui-même, toujours trop pressé pour tout ! Lorsque des infirmiers donnaient les bains, on se serait cru dans un véritable “lave-auto”. Pendant que l’un d’eux dénudait un pensionnaire, un autre préparait le bain et un autre l’aidait à laver cette carrosserie humaine. Puis un autre voyait à l’essuyer et lui mettre rapidement son pyjama en envers et mal boutonné la plupart du temps. Finalement, un chauffeur attendait à la sortie des bains avec une chaise roulante et reconduisait les pensionnaires à leurs chambres. On travaillait à la chaîne afin d’en finir au plus vite avec ces malades. Puis, on fermait les lumières et le tour était joué. On ne possédait pas les budgets suffisants, disait-on, pour assurer un meilleur service. C’était cela ou bien, certains pensionnaires risquaient d’aller se coucher encore sales.

L’infirmière conduisit Paichel dans le joli parc dès qu’il sortit vers les quatre heures de l’après-midi. Garde Rita prenait toujours sa pause-café à cette heure et accompagnait différents pensionnaires dans le parc chaque jour. Croyez-le ou non, certains malades n’étaient heureux que le court instant, passé au bras de garde Rita. Ils attendaient toute une longue semaine avant de pouvoir se retrouver en sa compagnie. La jeune femme qui ne voulait déplaire à personne, accompagnait Paichel seulement le samedi après-midi à quatre heures. Jules Verne avait son tour à deux heures le lundi. Mlle Nostra était toujours au rendez-vous du mercredi à quatre heures et le père Noël accompagnait garde Rita à deux heures le jeudi. Personne n’attendait cette infirmière le mardi, puisque c’était sa journée de congé. Donc, il fallait mourir un mardi, se disait Paichel à chaque fois qu’il marchait au bras de cette sainte femme. Jamais les autres n’accepteraient de quitter le monde en sachant qu’ils manqueraient leur marche du lundi, mercredi ou jeudi. Les trois amis de Paichel ne voulaient pas voir pleurer garde Rita lorsqu’ils rendraient l’âme prochainement. Les maîtres de l’invisible acceptèrent de venir les chercher un mardi. C’est Paichel qui leur dirait quand se préparer pour leur dernière nuit sur terre.

Garde Rita marchait près de Paichel et examinait sa canne d’un air amusé. Comme plusieurs vieillards, cet homme devait se servir de cet instrument utile. Jules Verne possédait une canne qui pouvait lui servir également de parapluie, mais Paichel se promenait avec un genre de branche sèche.

- Votre canne me semble très vieille. Je pourrais vous en procurer une autre avec la gracieuseté de l’institution.

- Vous êtes vraiment fort aimable, mademoiselle, mais je préfère conserver celle-ci. Elle m’a été offerte par le MAGICIEN D’OZ !

- Vraiment? Ah!, mais j’ignorais que vous possédiez une relique magique aussi fantastique?, lui demanda l’infirmière enjouée.

- Elle n’est pas magique vous savez ! J’ai dit que c’est la canne du magicien d’Oz seulement. Lui était magique, pas sa canne voyons !

- Vous êtes amusant.

- Moi aussi !

- Vous vous trouvez amusant ?

- Il le faut bien, chère mademoiselle. Les gens sont vraiment trop préoccupés aujourd’hui pour se trouver drôles. Ils sont sérieux et ennuyeux.

- Ce n’est pas gentil de dire de telles choses, monsieur Paichel. À propos, vous aurez un visiteur demain après-midi.

- Qui ?

- Oh ! Je préfère vous laisser la surprise.

- Ainsi, cela ne vous dérange pas de me laisser inquiet jusqu’à demain ?

- Pas du tout !

- Même si je n’en dors pas de la nuit ?

- Je sais que vous dormirez sur vos deux oreilles.

- Non, je préfère mes oreillers.

Le lendemain ,un vieil homme à l’allure sportive arriva dans une salle et serra Paichel dans ses bras avant de lui dire :

- Colline-de-bines, tu as vraiment vieilli. Je n’aurais pas dû te souhaiter bonne vieillesse en nous quittant. Tu te rappelles notre aventure avec le fichu trou de l’intemporel ? C’était le bon temps !

- Cela fait environ trente-trois ans, mon cher Roland !

- Maudit que ça passe vite !

- Tu dois avoir pris ta pension depuis quelques années ?

- Oh oui, Paichel ! J’étais fatigué de courir après les bandits. Je vis avec ma vieille sur le bord d’un joli lac et je passe mes journées à la pêche. Mais toi, qu’est-ce qui t’a pris de disparaître sans laisser d’adresse? J’étais certain que tu finirais par me donner de tes nouvelles !

- Excuse-moi Roland, je ne voulais pas te dire que j’étais interné dans un asile de fous.

- Mais tu n’es pas fou ! C’est quoi l’affaire ?

- C’est simple. Tu m’avais loué ton terrain mais des inspecteurs sont venus m’interdire d’y installer ma maison. J’ai dû me battre avec un inspecteur pour qu’il me laisse tranquille.

- Tu veux dire que...

- Juste une petite droite sous le menton voyons ! Il a porté plainte et je me suis retrouvé devant le juge. Il m’a demandé mon nom, mon âge et mon lieu de naissance. Comme j’ai osé lui dire la vérité, il m’a cru fou à lier et m’a fait interner ici.

- C’est stupide de ta part de ne pas m’avoir demandé de t’aider.

- Non Roland ! Tu avais ta carrière et surtout une bonne réputation. En témoignant en ma faveur, tu aurais passé pour fou. C’est pour cela que j’ai préféré dire que j’étais un clochard ayant emprunté illégalement le terrain d’un propriétaire dont j’ignorais le nom.

- Colline-de-bines, je ne suis pas intelligent... parfois ! Tu sais à quoi j’ai pensé lorsque je suis allé te visiter ?

- Tu as sûrement pensé que ce sacré Paichel ne t’avait pas encore payé ton loyer ?

- Ah ! Mais je t’avais promis d’aller t’arracher ce “un dollar” de loyer annuel. Tu t’en souviens ?

- Parfaitement. Tu devais également apporter une caisse de vin.

- J’avais une caisse de vin blanc et une autre de rouge. Tu vois, je croyais trouver ta maison sur mon terrain mais il était désert. Un voisin m’a dit que tu étais parti depuis six mois sans laisser d’adresse. J’ai alors cru que tu préférais te loger ailleurs. J’ai même visité la France puisque j’étais convaincu de t’y retrouver quelque part en Dordogne. C’est dans ce coin-là que tu es né, n’est-ce pas ?

- Peut-être bien, mon brave ami. On m’a découvert devant l’église de Conque, dans la région du Quercy.

- Je n’aurais jamais cru te retrouver un jour dans une institution semblable. Je vais entreprendre des démarches pour t’en faire sortir au plus vite.

- Non Roland ! Non, ne fais pas cela. Je vais mourir bientôt et j’ai déjà fait mes préparatifs.

Des larmes coulèrent sur les joues de l’ancien policier. Il savait que Paichel ne mentait pas en parlant de sa mort prochaine. Roland savait que Paichel vivait depuis le moyen âge et qu’il voyageait même dans le couloir Intemporel. Lorsqu’il quitta son ami trente-trois ans auparavant, l’autre lui demanda de lui souhaiter “bonne vieillesse”, puisqu’il était persuadé d’avoir accompli sa dernière mission sur terre. Paichel n’avait nul besoin de convaincre Roland au sujet de sa mort qu’il avait planifié pour un mardi à trois heures de la nuit. Il refusa évidemment de le préciser au policier, de peur qu’il refuse de partir.

- Ainsi, tu refuses de sortir d’ici, n’est-ce pas ?

- C’est ici ma dernière demeure, mon bon Roland. Si tu veux me faire plaisir, demande le droit de t’occuper de ma pauvre dépouille après ma mort. Je suis seul en ce monde et sans argent. Si tu penses pouvoir trouver un moyen de me faire incinérer et surtout de conserver mes cendres, je souhaite que tu les éparpilles aux quatre vents.

- Je connais le propriétaire d’un salon funéraire qui acceptera d’enterrer des pierres dans une fosse commune et de me confier tes cendres. Je te jure, colline-de-bines, de respecter tes dernières volontés. Je sais que nous nous reverrons un jour dans un monde meilleur.

- Oh, mais je suis de ton avis, mon cher Roland. Si tu ne trouves pas ma nouvelle adresse dans l’annuaire des esprits, demande à un ange de te conduire à MERCÉÜR, le vigneron.

- Mercéür ? C’est ton vrai nom ?

- C’est le plus ancien que je connaisse en tout cas!

Roland quitta Paichel en sachant fort bien qu’il ne le reverrait plus en ce monde. Pourtant, avec les années, l’ancien policier apprit à croire à la vie éternelle et même à ne plus craindre la mort. Il était triste mais pas troublé de devoir se séparer de son vieil ami Paichel.

Après le départ de Roland, le clochard alla rejoindre ses amis dans le parc. Jules Verne leva sa canne devant lui en criant : “À l’attaque !” Comme Paichel aimait bien se battre à l’épée, nos deux hommes s’affrontaient à coups de cannes en se prenant pour des mousquetaires. Le problème, c’est que ni Jules Verne, ni Paichel ne voulaient être l’un des soldats de la garde du Cardinal de Richelieu. Puis, tous les deux voulaient s’appeler monsieur d’Artagnan. Leur rivalité finissait en véritable bataille et leurs amis devaient les séparer et les raisonner.

- C’est moi qui dois avoir l’honneur de porter le nom du héros, inventé par mon ami Alexandre Dumas, lui cria Jules Verne encore essoufflé.

- Tu crois que Dumas serait fier de toi en te voyant voler le premier rôle chaque fois que nous jouons aux trois mousquetaires ? Est-ce que je me fâche, moi, lorsque tu me fais tenir le rôle du capitaine Némo ?

- Comment ! Je t’offre l’un des plus beaux personnages de mes romans et tu oses me parler ainsi ? Qu’as-tu contre le capitaine du fantastique Nautilus ?

- Je n’aime pas la manière dont il finit ses jours au fond de la mer, c’est tout ! Tu parles d’une belle finale ! Ce héros finit avec son sous-marin dans un coin du monde où personne ne pourra le retrouver. Tu aurais dû l’envoyer sur la lune au lieu de le faire disparaître pour toujours. C’est quoi cette idée de le faire engloutir sous l’île mystérieuse ? Moi, je l’aimais bien cette île. Elle aurait dû servir à d’autres aventures.

- Mais tu devrais savoir, pauvre haricot vert, que Némo meurt comme un héros mystique, englouti dans le ventre du monstre. Il en sortira vainqueur et régénéré comme l’arbre au printemps.

- Je savais cela et c’est pour cette raison que je ne veux pas jouer ce personnage. On dirait que tu t’amuses à me rappeler que les fous sont ceux qui perdent la tête. Pour renaître, un initié doit perdre la tête. Je sais que plusieurs de tes romans sont initiatiques et je ne veux pas m’amuser à jouer des rôles qui me rappellent trop mes propres aventures.

- Ah ! Mais je croyais te faire plaisir en t’offrant de jouer les héros !

- Je sais bien mon Jules, lui répondit Paichel en soupirant. Il faut toutefois que tu comprennes que je suis fatigué de me battre. Je veux m’abandonner et laisser la nature agir sans lui poser de questions inutiles. On se croit très intelligents en écrivant des chefs-d’oeuvre littéraires et initiatiques, mais combien de gens sont assez humbles pour ne rien dire du tout ? Tout ce que tu peux écrire est déjà là dans la nature et n’a pas besoin d’être décrite, mais appréciée. Combien d’auteurs ont vanté tels et tels philosophes pour finalement vendre leurs oeuvres au même kiosque que les livres de recettes? On finit toujours par récupérer les choses les plus nobles pour les commercialiser. C’est ainsi et c’est peut-être mieux ainsi. Je ne le sais pas ; je ne sais plus.

Paichel pleura discrètement et son bon ami Jules lui prit la main en disant joyeusement: “D’accord, jouons à la PAIX !” Il entraîna Paichel devant un petit jardin et lui demanda de se mettre à plat ventre comme lui. Ils observèrent un long moment des insectes, des plantes, des légumes, des sillons dans la terre et le mouvement des feuilles secouées par la brise. Le père Noël et Mlle Nostra vinrent s’étendre à leur tour pour observer les activités du jardin. Jules Verne dit en souriant :

- Je ne sais pas combien de temps nous pourrons jouer à la paix ?

- Regardez ce que fait cette araignée au pauvre papillon qui s’est pris dans sa toile ! S’exclama le père Noël sans intervenir. Si je tue l’araignée, je sauve le papillon et je détruis un insecte. C’est ça faire la guerre !

- C’est l’une des grandes lois de la nature, lui dit Paichel. L’araignée et le papillon sont comme toute chose, le fruit de la vie qui passe son temps à se dévorer pour vivre.

- Oui, répondit Jules Verne en opinant de la tête. J’ai passé ma vie à explorer ces lois de la nature et rechercher le point central à cet équilibre naturel des choses. Je n’ai trouvé, finalement, que le point d’opposition. Tout ce qui s’oppose à la nature défait un équilibre qui ne trouve pas sa source dans notre monde mais dans l’univers. Nous passons notre temps à vouloir changer ce qui a été fait avant l’homme. Je pense que les seules choses qui puissent changer dans le monde se trouvent en nous et pas ailleurs. Nous croyons légitime de tuer l’araignée parce qu’elle nous semble nuisible à nous et pas à autre chose.

- Ce que veut dire Jules, dit Paichel en observant le jardin, c’est que la paix ne s’obtient pas en faisant la guerre mais en cessant de vouloir changer ce que la nature a voulu ainsi.

- Oui, mais la folie des puissants risque de détruire le monde, répondit Mlle Nostra.

- On accuse facilement les puissants des maux qui prennent leurs origines dans la mentalité des peuples. Ces crises d’identité existent également entre sociétés, races et nations. Je crois que l’humanité cessera d’agir en adolescent si elle peut se rendre à l’âge adulte sans se détruire auparavant. La nature n’a pas fait naître les humains en adultes, mais en enfants. Ils vont se battre encore et c’est presque normal qu’ils se dépensent en énergie. Vous allez me trouver pessimiste si je vous dis que je ne crois pas possible une sagesse humaine avant encore mille ans, mais c’est le temps qu’il lui faudra pour devenir adulte responsable.

- Tu as sans doute raison, Jules, lui dit le père Noël. C’est tout de même souffrant de voir toutes ces haines dans le monde et toutes ces guerres qui déchirent les nations.

- Même si on a beau expliquer à l’enfant qu’il se fera mal en désobéissant, lui répondit Paichel, rien ne l’empêchera de faire des bêtises. Nous sommes à l’ère de la confrontation de l’adolescent envers son père. Un jour, l’humanité sera adulte et comprendra alors pourquoi son PÈRE voulait en faire un HOMME.

Une nuit, Paichel se fit secouer l’épaule par une petite main. Une voix lui dit :

- Réveille-toi voyons, j’ai quelque chose à te montrer.

- Primus ? Mais que fais-tu ici, répondit le vieillard en sursautant. Ça alors ! On dirait bien que tous mes amis viennent me visiter avant de mourir ?

Primus Tasal ouvrit lentement ses petites mains pour montrer un étrange bijou au vieillard.

- Est-ce que ce médaillon te dit quelque chose ?

- Il parle?

- Ce n’est pas l’heure de dire des stupidités, Paichel! Je viens de rencontrer le Maître Kanapyra qui désire t’offrir son pentacle afin que tu puisses retourner sur Arkara sans devoir te faire éveiller comme les anciens fautifs. Tu vois, lorsque tu quitteras ton corps, tu devras le faire comme tous les autres mortels. Le couloir intemporel ne viendra pas te chercher. Tu dois vivre cette expérience comme toutes les autres âmes lorsqu’elles se dégagent de leurs enveloppes physiques. Le médaillon va éclairer ta route afin d’empêcher les illusions de te retenir entre ton îlot et la terre. Il va te permettre de retrouver ta mémoire et tous tes souvenirs passés. Tu conduiras tes amis dans ton royaume et tu poursuivras ensuite ta route vers la nouvelle Arkara.

- Si nous quittons la terre sans ce médaillon, on risque de se perdre dans l’intemporel?

-Non, dans autre univers semblable au nôtre. Il n’y a qu’un petit passage qui nous sépare de l’autre dimension, mais rare sont ceux qui peuvent le découvrir d’eux-mêmes. Il faut une lampe magique ou bien ce médaillon. Tu réalises qu’il va te servir grandement lorsque tu auras quitté notre monde?

- Tu sais Primus, je me sens comme l’enfant prodigue qui retourne finalement chez lui.

- Anakilimon a éprouvé la même sensation en retournant sur la nouvelle planète. C’est un sentiment que tous les anciens fautifs vont sûrement éprouver comme toi et Anak.

- Je me demande bien si j’aurai encore envie de travailler dans un vignoble comme autrefois.

- Sois sans inquiétude à ce sujet mon brave compagnon. Les Maîtres du mont Bellapar désirent t’offrir la responsabilité du plus grand musée de l’univers.

- C’est vraiment intéressant! J’y conserverai des collections, des oeuvres d’art...

- Il ne s’agit pas d’un musée conventionnel, mon pauvre ami! Il sera situé dans l’ancienne vallée des fautifs. Certaines âmes éprouvées par l’injustice y enseigneront la justice en se servant d’objets qui rappelleront à quoi mène justement l’injustice. D’autres y enseigneront la paix entre frères en montrant des canons, des reliques nées de la haine et de la discorde. Les Arkariens qui feront des pèlerinages dans cette vallée, se souviendront pourquoi l’amour prend tant de visages après tout ! Ils verront l’amour véritable, l’amour possessif, l’amour violent, l’amour rêveur, l’amour solitaire, l’amour passionnel, l’amour dans la froideur, l’amour insensé, l’amour charnel, l’amour sacré, l’amour haineux, l’amour... toujours l’amour. C’est cela qui anime tout, pour le meilleur ou pour le pire. Les fautifs méditeront l’amour à la lumière du jour et ne pourront s’imaginer avoir été aussi près de la vérité sans la trouver. Ce musée ne sera pas là pour “entretenir des souvenirs du passé”, mais pour voir quels sont les points communs entre deux choses. En deux mots, on y exposera la QUESTION et la RÉPONSE.

- Le panorama de la vie, quoi?

- Si je dis que j’expose la question et la réponse, c’est que j’ai déjà résolu la question et il ne me reste que la réponse. C’est pour cela que les souvenirs sont inutiles dans ce musée. Il y aura évidemment des millions d’objets, mais je ne crois pas qu’ils seront le plus utiles. Les pèlerins verront surtout un ensemble de choses qui éveilleront finalement leur conscience. Je veux dire par cela, que ce n’est pas une couronne ornée de rubis qui les impressionneront le plus, mais plutôt ce qu’elle accordait en pouvoir à celui ou celle qui gouvernait. Puis, ce n’est pas la vue d’un missile nucléaire qui effraie, mais c’est ce qu’il peut faire en dommages. Les visiteurs vont méditer tout cela en se demandant ce qui fut un obstacle à l’évolution psychologique et spirituelle des Terriens. Les anciens fautifs ne voudront plus se rappeler les questions qu’ils se sont posées, mais vivre selon la réponse. Ceci veut dire qu’ils répondront tous à l’appel de la vie dans toute sa splendeur.

Le missionnaire lui répondit en souriant :

- Heureusement que j’ai mené une vie de clochard, mon cher Primus. Tu me vois apporter tous les objets que j’aurais possédés en sept cents ans de vie dans un même corps ?

- Oui et tout ce qui te sera utile est présentement sur ton îlot intemporel, mon cher Paichel. Je pense que si des ambitieux pouvaient y faire un petit tour, ils te trouveraient vraiment indifférent au pouvoir. Tu possèdes même des objets qui appartiennent à des maîtres. Tu sais, avec tout ce que tu as amassé au cours de tes aventures, tu aurais pu posséder des pouvoirs fabuleux. Les Grands-Maîtres reconnaissent que tu as été guéri de la folie du pouvoir. Puis-je te demander si tu réalises la force que tu détiens entre les mains?

- Oh, mais j’en suis parfaitement conscient. Tu sais, je possède le fameux coffre en or massif du Grand maître Anakilimon. C’est Rat-Mage qui me l’a offert pour avoir défendu la cause des rats de France. Puis, je détiens les quatre cent mille ans d’histoire qui manque aux anthropologues pour reconstituer le tableau de l’humanité. Je sais que c’est toi qui a laissé ce fragment sur le sol pour que je le conserve.

- Oui, tu aurais pu en obtenir une véritable fortune, mais tu as préféré mener une vie de clochard. C’est cela la noblesse.

- Oui et les anthropologues auraient apprécié ce chaînon de l’histoire humaine et les historiens m’auraient lapidé pour avoir apporté la preuve qu’une civilisation précéda l’homme des cavernes. Je n’avais pas envie de passer ma vie à défendre une thèse qui n’aurait pas changé le monde de toute façon!

- Tu possèdes toujours un mégator qui appartenait au Maître Dorgon?

- Oui, je possède également trois épines de la couronne du Christ, ainsi que son manteau rouge qu’il portait alors qu’il était encore adolescent.

- Dis donc, c’est pas mal du tout! Tu t’imagines ce que tu aurais pu faire avec de telles reliques?

- À semer de la jalousie entre les églises chrétiennes, mon cher. On aurait voulu se battre pour détenir les reliques du Christ. Non, elles sont dans mon coffre et je préfère les emporter sur Arkara. Je les offrirai aux Grands-Maîtres pour qu’ils en disposent selon leur sagesse. Puis, j’ai le grimoire de l’illustre Maître Roger, grand magicien qui enseigna beaucoup de choses à mon ami BACON. Lord Walter Bacon fut transformé en chien après avoir joué avec les poudres magiques du Maître Roger, tu sais!

- Tu possèdes d’autres trésors?

- Attends, j’ai trois perles vides qui ont déjà contenu la puissance de Mars, Saturne et Vénus. Je possède également une cruche vide qui servit au miracle de Cana. Puis, j’ai la canne du magicien d’Oz, la statue de Saint-Michel Archange qu’un petit ange me retourna en me demandant de la conserver. Il disait que mon geste était noble mais que la statue faisait trop de poussière au ciel. J’ai aussi une boîte de pudding au caramel qui m’a été offerte par Saint-Pierre. Je détiens le berceau d’Atlantin, une graine de cristal du canton d’Atlantis, une peau de rhinocéros laineux qui date de l’homme des cavernes et finalement, je garde précieusement le MYTHE UNIVERSEL et ses confrères.

- Mais c’est très bien. Maintenant je t’offre le médaillon de Kanapyra. Tu devras l’emporter en mourant pour qu’il te guide dans la noirceur.

Paichel venait de recevoir un autre présent inestimable. Primus Tasal fixait deux gros bas de laine de couleur rouge et blanche. Ils étaient accrochés sur le mur et intriguaient notre singe.

- Ils sont vraiment gros ces bas. Ils sont à toi ?

- Oui, répondit Paichel en riant. C’est le père Noël qui me les a offerts en cadeau.

- Bien sûr, s’il t’a offert ces beaux bas de laine, c’est assez difficile pour toi de t’en défaire, n’est-ce pas ?

- Mais je n’ai pas le droit de les offrir en cadeau puisqu’ils m’ont été donnés en présent. Pourtant, si je dors, rien ne t’empêche de les emporter.

- Les voler?

-Non, les emprunter à long terme.

- Tu dormiras pour vrai ?

- Mais oui, je ronflerai comme le vent dans un tonneau !

- D’accord, je les décrocherai sans faire de bruit.

- Oui, mais n’oublie pas de retirer le clou auquel ils sont pendus ! Tu pourrais faire des accrocs dans les mailles de laine.

- Pourquoi souris-tu ainsi en me fixant dans les yeux ? Tu voudrais bien savoir pourquoi je veux ces bas du père Noël, n’est-ce pas?

- Hum, hum !

- C’est simple, je connais deux joyeux conteurs qui ont pour noms : Finibus et Débunibus. Ils passent leur temps à se vautrer dans des endroits mouillés. Je pense que des bonnets aussi jolis feraient bien leur affaire pour se garder la tête au chaud.

- Mais, ce sont des bas, pas des bonnets! Si je comprends bien, les bonnets de nos deux joyeux conteurs étaient ceux que tu vas me prendre pendant mon sommeil?

- Hé oui, il n’existe pas de temps pour un vieux singe comme moi. Je savais où prendre les fameux bonnets avant même que tu débutes tes missions sur terre. Je te demande seulement de ne jamais leur révéler l’origine de leurs bonnets amusants.

- C’est entre toi et moi, chut ! ! !

- Bonjour à toi... Paichel, lui dit le singe avant de disparaître en dansant sur sa boule magique.

Le vieillard s’endormit rapidement et au matin, les deux bas du père Noël n’étaient déjà plus sur le mur.

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